GROUPE 47

GROUPE 47
GROUPE 47

Le Groupe 47 est un rassemblement d’écrivains et de critiques d’Allemagne occidentale qui se constitue en 1947, à l’initiative de Hans Werner Richter. Au cours de sessions, d’abord pluriannuelles, puis, à partir de 1954, simplement annuelles, de jeunes écrivains, encore inconnus, lisent des extraits de leurs œuvres et les soumettent au jugement de leurs confrères, écrivains ou critiques littéraires. À partir de 1950 – mais non chaque année – est décerné un prix qui doit obligatoirement couronner une œuvre inédite. Le choix du groupe sera le plus souvent heureux. La quasi-totalité de la littérature vivante en République fédérale lui doit sa naissance et sa consécration. Il a servi de tremplin à la plupart des grands auteurs. Selon Dieter Lattmann, qui a joué un rôle actif en son sein, il est à la nouvelle littérature ce que fut Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu) à l’art expressionniste.

Les hasards d’une origine

Souvent, les écrivains qui veulent innover se regroupent autour d’une revue. Paradoxalement, le Groupe 47 naît de l’interdiction d’une revue, L’Appel (Der Ruf ), fondée en août 1946, à Munich, par H. W. Richter et Alfred Andersch. Ceux-ci se rencontrent dans des camps de prisonniers allemands aux États-Unis et diffusent parmi leurs compatriotes une première version de la future revue. Son contenu se heurte rapidement à l’hostilité, voire au «terrorisme» des soldats encore dévoués au IIIe Reich. Adversaires du national-socialisme, Richter et Andersch croient, tous deux, à la nécessité de reconstruire une Allemagne radicalement nouvelle, donc démocratique. Revenus en Allemagne, ils décident de poursuivre cette tâche. L’Appel obtient sans difficulté l’agrément et le soutien des autorités américaines d’occupation. La durée de ce crédit sera brève. La revue, dont le sous-titre («Feuilles indépendantes pour la jeune génération») prend des allures de manifeste, inquiète très vite son tuteur. Si, en effet, les rédacteurs se livrent à une critique résolue du passé récent de l’Allemagne, ils n’en rejettent pas moins la thèse de la culpabilité collective du peuple allemand. En outre, ils se permettent de mettre en doute l’efficacité de la politique de dénazification pratiquée par les Occidentaux. Surtout, ils proclament l’exigence d’une Allemagne mariant la démocratie à un socialisme situé aux antipodes du totalitarisme stalinien. De telles conceptions, lancées au moment même où naît la guerre froide, sont pour le gouvernement militaire américain synonymes de nihilisme et de subversion. Elles justifient le retrait de la licence de publication. En mars 1947, après seulement seize numéros, la revue, qui tire à 100 000 exemplaires, est interdite.

Richter et ses collaborateurs entreprennent alors de créer une seconde revue au titre révélateur, Der Skorpion , qui se veut ouvertement satirique et plus spécifiquement littéraire. Elle doit servir de banc d’essai aux œuvres inédites ainsi que de forum de discussion. Les rédacteurs, réunis près de Füssen dans le sud de la Bavière, élaborent un numéro zéro, qui, faute de papier et de licence, ne verra jamais le jour. Lors de cette rencontre, ils lisent certaines de leurs œuvres, les discutent sans ménagement sous le patronage de Richter et conviennent de se revoir quelques mois plus tard. L’élan est donné. Ce qui va devenir, un peu par hasard, le Groupe 47 – ainsi dénommé, un peu plus tard, par H. G. Brenner – vient de naître et est promis à un brillant essor.

Le Groupe 47: exigences et perspectives

Dans l’esprit de ses fondateurs fortuits, le Groupe 47 répond à une double exigence. Tout d’abord à une exigence politique. Il n’est pas exagéré de dire qu’il incarne la version allemande de l’engagement, tel qu’on l’entend en France dans les années 1945-1950, c’est-à-dire de l’engagement à gauche au sens large, puisque l’Allemagne nouvelle doit se définir à la fois contre la restauration capitaliste et le communisme stalinien. De manière plus générale, les promoteurs du Groupe 47 veulent réagir contre la tendance (si souvent déplorée) des écrivains allemands à s’enfermer dans leur tour d’ivoire, à se replier sur eux-mêmes, à se détourner de toutes les implications qu’entraînent les affaires de la cité.

La seconde exigence, plus spécifiquement littéraire, découle de la première. En effet, pour les auteurs rassemblés au sein du Groupe 47, le premier devoir d’une littérature qui ne veut pas négliger sa portée sociologique consiste à rénover au préalable ses instruments de création, c’est-à-dire le langage. De 1933 à 1945, le langage n’a pas échappé à la corruption générale. Il convient donc de l’expurger de toutes les scories du discours national-socialiste. Aussi, durant les premières sessions, règne-t-il une allergie à la rhétorique et à la redondance. Le puritanisme stylistique est de rigueur. La langue doit être épurée. Il faut, selon l’expression de Weyrauch, bannir la «langue de l’esclavage», tourner le dos à la «calligraphie». À ses débuts, Heinrich Böll confie ses difficultés à écrire, ne serait-ce qu’une demi-page de prose. Pratiquer la «table rase» (Kahlschlag ) pour reconquérir un langage, tel doit être le premier impératif. On en trouve une illustration particulièrement frappante dans le célèbre poème intitulé InventurInventaire») de celui qui devait être le premier lauréat du Groupe 47: Günter Eich. Durant douze ans, la langue allemande avait été un instrument de coercition tel qu’il fallait s’en libérer et revenir à une sorte d’abécédaire originel, avant de songer à proposer des formules plus élaborées. Dans ce poème, Eich se contente de nommer les objets les plus élémentaires composant l’univers quotidien d’un Allemand de retour du front, à l’heure de l’année zéro: «Voici ma casquette/Voici mon manteau/Et aussi mon rasoir/dans ce sac de toile/...C’est la mine du crayon/qui a mes préférences/Le jour, elle consigne les vers/que j’ai créés la nuit.» Ainsi s’explique que, dans une première phase, la primauté soit accordée au reportage, au récit dépouillé, à la nouvelle brève, au lyrisme essentiel, au roman documentaire, à cette «littérature de la guerre, des rapatriés et des ruines» que Böll définira rétrospectivement dans un manifeste lu en 1952.

Un organe de promotion de la littérature allemande contemporaine

Désormais, les participants, toujours plus nombreux, du Groupe 47 vont susciter des orientations nouvelles, plus diverses et plus riches. Les problèmes de l’identité, les malaises de la civilisation technicienne occupent une large place. Le ton devient sarcastique ou grinçant. Le grotesque, ou le bizarre, foisonne. Ilse Aichinger, qui lit sa célèbre nouvelle Histoire d’un miroir (Spiegelgeschichte ), est couronnée en 1952. L’année suivante, la romancière et poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann est distinguée à son tour. Martin Walser reçoit le prix en 1955, Günter Grass en 1958. Sa lecture d’extraits du Tambour (Die Blechtrommel ) prend les dimensions d’un événement littéraire. Uwe Johnson, Hans Magnus Enzensberger ne tardent pas à être remarqués, le moment venu. Si l’on fait abstraction d’une réaction négative à l’égard du poète Paul Celan, on peut dire que le Groupe 47 a su faire preuve de discernement.

Les auteurs qu’il contribue à imposer sont parmi les moins contestables. Ajoutons enfin qu’il n’hésite pas à jeter un pont vers la littérature de l’autre Allemagne en décernant son prix pour 1962 à Johannes Bobrowski. Il remplit donc parfaitement l’une des missions que lui assignait son fondateur: découvrir et faire connaître de nouveaux talents. Il y parvient d’autant mieux que nombre de ses animateurs sont présents dans les comités de lecture des maisons d’édition ou exercent des fonctions à la radio ou à la télévision.

Une telle réussite n’est l’effet ni du hasard ni de l’opportunisme. Elle tient d’abord à la personnalité de H. W. Richter, qui parvient, en dépit des tensions, des rivalités et des intrigues, à maintenir, sans autoritarisme, la cohésion du groupe durant vingt ans, jusqu’à sa dissolution tacite en 1967. Les occasions de conflit, pourtant, ne manquent pas, ne serait-ce qu’à cause du rituel des séances de lecture. L’écrivain invité fait face à un jury d’écrivains reconnus, de critiques chevronnés (J. Kaiser, W. Jens, H. Mayer, M. Reich-Ranicki ou F. J. Raddatz par exemple). Il lit son texte durant une trentaine de minutes et assiste ensuite à la discussion, sans pouvoir y participer. Dans les premiers temps, on condamne en baissant le pouce, comme dans les combats de gladiateurs. Par la suite, les formes s’affinent. Mais nombreux sont les écrivains qui n’ont pas oublié le supplice de la «chaise électrique», sur laquelle ils ont affronté leurs juges. Selon M. Walser, le débat fait de l’écrivain une sorte de victime expiatoire. Néanmoins, au fil des ans, l’afflux des candidats ne tarit pas. Recevoir une invitation de Richter apporte la promesse d’une consécration.

La longévité du Groupe 47 s’explique aussi par le caractère informel de son organisation, son absence de statuts précis, sa méfiance à l’égard de toute ligne idéologique. Comme l’explique fort bien H. M. Enzensberger dans une contribution à la fois perfide et bienveillante publiée en 1962 dans l’Almanach du Groupe , il n’a ni siège social, ni président d’honneur, ni secrétaire général, ni caissier, ni compte chèque postal, pas même de membres adhérents. Dans un pays où, selon Enzensberger, même les anarchistes tiennent une comptabilité rigoureuse du nombre de leurs militants, il y a là effectivement une originalité. Ni cénacle, ni académie, il est ouvert à tous et aspire seulement – ce qui est beaucoup – à être le «café central d’une littérature sans capitale» (H. M. Enzensberger). Rien de plus injuste donc que de l’accuser, comme le feront certains de ses détracteurs lors de campagnes de presse (Friedrich Sieburg, par exemple) ou certains hommes politiques de la C.D.U., d’être la nouvelle «Chambre des écrivains du Reich». Son absence délibérée de sectarisme est le gage décisif de son succès. La réussite, cependant, n’est que partielle.

Les raisons d’une dissolution

De ses deux exigences initiales, politique et littéraire, le Groupe 47 n’a réalisé vraiment que la seconde et très largement manqué la première. En effet, il ne parvient pas – mais le pouvait-il? – à infléchir de manière décisive l’évolution de la société ouest-allemande. Il en prend conscience assez vite. Très tôt, sur ce point, la résignation s’installe dans ses rangs. Il est vrai que le contexte de la «guerre froide» ne se prête guère à l’éclosion d’expériences politiques nouvelles. Le «miracle économique», la satisfaction croissante des besoins matériels poussent la majorité des citoyens au conformisme et rejettent vers la périphérie les écrivains ou les intellectuels critiques qui tentent de l’ébranler. Comme si souvent dans le passé, ils se retrouvent progressivement confrontés à une situation qu’ils voulaient à tout prix éviter: le divorce, l’isolement, la marginalisation. À ces prophètes sans influence sociologique, sinon sans lecteurs, qui dénoncent dans leurs œuvres les dangers insidieux d’une mise en condition américanisée, d’autant plus redoutable qu’elle est à la fois occulte et omniprésente, le groupe offre une sorte de refuge. Il est d’autant plus recherché que nombre de ces nouveaux écrivains vivent le plus souvent hors des frontières allemandes, ce qui est la reprise d’une tradition. M. L. Kaschnitz et H. Kesten s’établissent en Italie, P. Weiss en Suède, H. M. Enzensberger en Norvège. H. Böll partage un moment son existence entre l’Irlande et la R.F.A. Une telle situation ne constitue pas le meilleur tremplin pour modifier le cours des événements. Certes, le groupe veille à ne pas se laisser enfermer dans des débats exclusivement littéraires. Un consensus se dégage, au cours des sessions, pour condamner les pesanteurs du nouvel État allemand. Mais – tous les témoignages concordent sur ce point – aucun événement politique, même l’affaire du Spiegel en 1962, ne parvient à dominer la discussion. La majorité des auteurs eût jugé incongrue une telle évolution. On touche ici aux ambiguïtés et aux limites de l’engagement sans obligation ni sanction. Ces prophètes sans influence se veulent aussi des prophètes sans cause, à quelques exceptions près. La plupart sont attentifs aux seuls impératifs de leur conscience. D’un côté, ils se veulent responsables. De l’autre, instruits par l’expérience historique ils se méfient des pièges du langage et de l’idéologie, refusant de devenir des partisans, pour se vouloir simplement des hommes soucieux de ne pas aliéner leur liberté de pensée. Il y a là un équilibre difficile à tenir sur un parcours semé d’embûches. Tôt ou tard, un tel itinéraire ne peut déboucher que sur une impasse.

Ce danger menace d’autant plus qu’au fil des ans le groupe est devenu une sorte d’institution, voire de festival célébré par les grands moyens d’information. Il fait partie de ce qu’on appelle bientôt, avec mépris, l’establishment culturel et n’échappe pas à la contestation générale que traversent, vers le milieu des années soixante, les institutions des grands pays occidentaux. Notons toutefois que ce malaise jaillit d’abord de ses propres rangs. Bien des thèmes critiques qui vont devenir monnaie courante sont déjà présents dans telle nouvelle de Böll ou tel poème de Peter Rühmkorf. La préparation de la session de 1966 à l’université de Princeton est mouvementée. L’invitation, qui coïncide avec l’aggravation du conflit vietnamien, choque plusieurs écrivains, qui, dans des déclarations remarquées, refusent de faire le voyage. Lors de la séance publique, un jeune écrivain autrichien encore peu connu, Peter Handke, refuse le rôle de victime. Il se fait procureur, prône un retour au réel, dénonce chez ses pairs une «impuissance à décrire». La session suivante est perturbée par l’arrivée des jeunes militants de l’opposition extra-parlementaire, qui exigent le vote d’un manifeste contre le magnat de la presse et de l’édition, Axel Springer. De l’extérieur, on suggère au groupe de se dissoudre. Cet appel est entendu. Le rendez-vous suivant – prévu dans le Prague du printemps de 1968 –, conforme par bien des côtés aux espoirs des participants, reste sans suite. Le Groupe 47 interrompt ses activités aussi discrètement qu’il les a commencées.

Né d’une débâcle politique, le Groupe 47 se désagrège sous la poussée de nouvelles exigences politiques qu’il a partiellement engendrées. Une nouvelle gauche, plus libertaire, plus anarchiste, plus radicale, prend la relève de la gauche unanimiste. L’important se situe sans doute ailleurs. À travers les vingt années de son existence mouvementée, il a contribué très largement à redonner à la littérature allemande un visage neuf qui se reflète dans une grande multiplicité de thèmes et de formes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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